L’Ascension, Jésus établit son ciel en toi

 

Les derniers mots de Jésus à ses Apôtres rapportés dans l’Evangile selon Saint Matthieu sont : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (cf. Mt 28, 20). Dans quelle mesure l’Ascension de Jésus, survenue 40 jours après sa Résurrection au témoignage des Actes des Apôtres, accomplit-elle cette promesse ? Voilà la question à laquelle veut répondre cette courte méditation.

Mais d’abord, c’est quoi l’Ascension ? On en trouve le résumé substantiel dans le verset 9 du premier chapitre des Actes : « Sous leurs yeux, il s’éleva et une nuée vint le soustraire à leurs regards ». Cela se produisait sur le « Mont des Oliviers ».

Il y a là deux symbolismes qui nous introduisent dans le mystère : le symbolisme du Mont et le symbolisme de la Nuée. Dans les Saintes Ecritures en effet, le mont, la colline, la montagne, sont généralement des lieux symboliques de la présence de Dieu. Nous pensons par exemple au Mont Sinaï où Dieu se manifeste au peuple d’Israël lors de sa traversée au désert et lui donne les tables de la Loi (cf. Ex 19s). Nous Pensons au mont Carmel où Yahvé déploie sa puissance à la prière d’Elie (cf. 1 R 18). Nous pensons aussi au mont Horeb où Dieu se manifeste à Elie (1 R 19). Nous pensons enfin au mont Thabor où Jésus est transfiguré (Mt 17). Ainsi, le mont des oliviers symbolise aussi la présence de Dieu. Il en ressort que l’Ascension est avant tout une théophanie, un mystère divin.

De son côté, la nuée dans la bible est aussi un signe de la présence de Dieu. Nous pensons par exemple à la nuée qui accompagne le peuple d’Israël durant sa marche au désert (Ex 13, 21 ; 40, 34-37). Nous pensons à la nuée qui remplit la tente de la rencontre (Ex 16, 9 ; 40, 34 ; Nb 16, 42). Nous pensons aussi à la nuée qui remplit la maison de Dieu en Ez 10, 4. Par ailleurs, Jésus lui-même annonce qu’il reviendra sur les nuées (cf. Mc 14, 62) et saint Jean, dans l’Apocalypse, le contemple venant dans les nuées (Ap 1, 7). Ainsi, lorsqu’une nuée vient soustraire Jésus aux regards des Apôtres, cela veut dire que Jésus entre dans l’intimité divine, dans un mode de présence où les Apôtres ne peuvent plus le voir avec leurs yeux de chair. Il rompt l’ancien mode de présence physique et visible pour instaurer un mode de présence spirituelle et invisible avec ses Apôtres. Mais pourquoi ? Pour que l’Esprit Saint, qui était aussi déjà là depuis le commencement sous un mode de présence et d’action voilé, puisse inaugurer un autre mode de présence et d’action non voilé avec les Apôtres.

Et donc en réalité, à l’Ascension, Jésus a changé de mode de présence. Pour comprendre sa montée au ciel, il faut faire la différence entre le ciel et le firmament. Le firmament, c’est la voûte céleste que, selon le premier récit de la création, Dieu a créé au deuxième jour (cf. Gn 1, 8). En regardant vers le firmament, nous apercevons les astres, le soleil, la lune, les étoiles, etc. Par contre, le ciel, c’est la demeure de Dieu. Or, Saint Paul nous dit que nous sommes la demeure de Dieu (cf. Ep 2, 22 ; 1 Co 3, 16 ; 2 Co 6, 16). Le ciel, où Jésus est allé, c’est le Royaume de Dieu dont il dit lui-même qu’il est au-dedans de nous. Et c’est ici qu’il faut redécouvrir le sens originel de la parole de Jésus en Lc 17, 21 : βασιλεία το θεο ντς μν στιν. Ce verset est traduit dans la plupart des Bibles par : « Le Royaume de Dieu est parmi vous » (cf. Bible de Jérusalem) ou « Le Règne de Dieu est parmi vous » (cf. Bible TOB). Mais en réalité, la préposition adverbiale ντς, signifie « au-dedans, à l’intérieur de ». Dans les Evangiles, cette préposition adverbiale apparaît seulement deux fois : en Lc 17, 21 où nous l’étudions actuellement puis en Mt 23, 26 où Jésus, dans l’allégorie de la coupe, l’oppose à κτς, signifiant « à l’extérieur de » : « Purifie d’abord le dedans de la coupe, pour que le dehors aussi devienne pur. » La Bible de Jérusalem traduit ce verset comme suit : « Purifie d’abord l’intérieur de la coupe, afin que l’extérieur aussi devienne pur. » C’est dire que la traduction de la parole de Jésus en Lc 17, 21 s’agissant du Royaume est davantage « le Royaume de Dieu est au-dedans de vous ». On comprend alors que le Ciel, le Royaume de Dieu, où Jésus monte à l’Ascension, ne se situe pas dans le firmament sidéral. Jésus n’a rien à aller voir à Mars ou à Jupiter, il n’a rien à aller faire à Neptune ou Pluton. Bref, contrairement au ciel de la Genèse, le ciel de l’Ascension se situe au-dedans de nous, où Jésus attend désormais que les croyants le rejoignent à chaque instant.

Mais alors : Pourquoi dire qu’il est monté ou qu’il s’est élevé ? Bien sûr qu’il est monté, puisque l’Ascension est un événement historique. Mais déjà Saint Augustin expliquait que Jésus est monté sans s’éloigner.[1] La hauteur ici est symbolisme d’élévation en dignité, d’élévation de condition, plus précisément de glorification mais cette glorification n’est pas spatiale ou géographique. Comme le dit l’épître aux Philippiens, « Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au Nom de Jésus tout genou fléchisse, au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père. » (Ph 2, 9-11). Dieu a donc élevé le Christ, comme le dit l’épître aux Ephésiens, « au-dessus de toute Autorité, Pouvoir, Puissance, Souveraineté et de tout autre nom qui puisse être nommé, non seulement dans le monde présent, mais encore dans le monde à venir. Il lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Eglise qui est son corps » (Ep 1, 21-22).

En tant que Tête de son Corps qu’est l’Eglise, Jésus, en s’élevant, nous élève aussi avec lui. Il nous élève au-dessus de nous-mêmes, il élève la nature humaine qu’il a assumée au-dessus d’elle-même. Il nous élève vers Dieu qui est l’Au-delà de tout et donc aussi l’au-delà de nous. C’est ce qu’exprime saint Léon le Grand en ces termes : « Notre pauvre nature, en la personne du Christ, a été élevée plus haut que toute l’armée des cieux, plus haut que tous les chœurs des anges, plus haut que toutes les puissances du ciel, jusqu’à s’asseoir auprès de Dieu le Père. »[2] En nous faisant entrer dans la gloire de Dieu, Jésus nous rend participants de sa divinité, mais c’est du dedans de nous qu’il le fait, en plongeant dans le ciel au-dedans de nous, où Il veut que nous Le rejoignions désormais. Ce faisant, il rend sa présence en nous encore plus profonde et plus intime. C’est ce que tente d’exprimer Saint Jean de la Croix dans son ouvrage La Vive Flamme d’amour en disant : « Le centre de l’âme, c’est Dieu ».[3]

Par ailleurs, il fallait que les Apôtres vissent Jésus s’élever, comme le traduit si bien la Bible de Jérusalem : « Ils le virent s’élever ». Cela nous rappelle le récit de l’ascension du prophète Elie où à son disciple Elisée qui demandait la double part de son Esprit, Elie répondit : « Si tu me vois pendant que je serai enlevé loin de toi, alors il en sera ainsi pour toi, sinon cela ne sera pas. » (cf. 2 R 2, 9-10). Elisée le vit alors s’élever et fut rempli de son Esprit (cf. Si 48, 12). Voir Jésus s’élever était une investiture pour la mission, une passation de service. Raison pour laquelle les anges interpellent les Apôtres qui regardaient encore là-haut : « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le Ciel ? » Autrement dit : Allez les gars, plus de temps à perdre, c’est à vous de prendre la relève !

 

Adéchina Samson Takpé

Trèves, 22 mai 2020

 

[1] Cf. Saint Augustin, Sermon pour l’Ascension, in : La Liturgie des heures 2, Paris 2010, p. 713-714.

[2] Saint Léon le Grand, Sermon pour l’Ascension, in : La Liturgie des heures 2, Paris 2010, p. 726.

[3] Jean de la Croix, La vive flamme d’amour B, 12.

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