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La Pentecôte, ce n'était pas les langues de feu...

(Abbé Marie-Samson)

 

La Pentecôte (en Actes des Apôtres 2, 1-13), ce n’était pas le « bruit venant du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent ». La Pentecôte, ce n’était pas non plus les « langues de feu ». La Pentecôte, ce n’était même pas le « parler en langues ». Tous ces signes étaient annonciateurs et explicatifs du mystère. De fait, chacun d’eux avait sa signification :

« Le bruit venant du ciel » rappelait le bruit de « cor très puissant » et « la voix de tonnerre » qui s’étaient fait entendre lors de la manifestation du Seigneur sur le mont Sinaï (Ex 19,16-19). Et ce signe voulait dire que ce qui allait se passer à la Pentecôte était une théophanie, c’est-à-dire une manifestation divine.

« Le souffle », quant à lui, rappelait le souffle de Dieu qui planait sur les eaux au commencement de la création (Gn 1,2), souffle qui a été toujours compris comme un symbole du Saint-Esprit. Si « le bruit venant du ciel » annonçait, comme dit précédemment, une manifestation divine, le souffle venait préciser la Personne divine qui allait se manifester, à savoir le Saint-Esprit. De là, les signes suivants expliciteront ce que le Saint-Esprit venait faire.

« Le vent » rappelait entre autres le vent évoqué par Jésus lors de son entretien avec Nicodème quand il lui expliquait le mystère de la nouvelle naissance : « Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » (Jn 3, 8). Le signe du vent donnait donc à comprendre que le Saint-Esprit venait opérer une nouvelle naissance. Raison pour laquelle l’on parle du baptême du Saint-Esprit.

« Les langues de feu » symbolisaient la parole et la nouvelle Loi. Pour comprendre ce signe, il faut se souvenir que la pentecôte était une fête juive qui, au temps des moissons, le cinquantième jour après Pâque, commémorait la promulgation de la Loi ; la Loi, ce sont les dix Paroles données par Dieu sur le mont Sinaï, mont Sinaï qui, à l’occasion, était tout en feu : « Le mont Sinaï n’était que fumée, parce que le Seigneur y était descendu dans le feu ; sa fumée monta comme la fumée d’une fournaise… Tout le peuple percevait les voix, les flamboiements, la voix du cor et la montagne fumante » (Ex 19,18 ; 20,18). Le signe des « langues de feu » faisait donc comprendre que la mission des apôtres était d’aller parler, d’aller annoncer dans la puissance du Saint-Esprit la nouvelle Loi qu’est Jésus Christ ou l’amour de Dieu manifesté en Jésus. Mais les « langues de feu » rappelaient aussi la parole qui s’était fait entendre du milieu du feu lors de l’épisode du buisson ardent et qui envoyait Moïse parler au pharaon et aux fils d’Israël pour leur annoncer leur libération prochaine comme accomplissement de la promesse faite à leurs Pères (cf. Exode 3ss). Sous ce rapport, le signe des « langues de feu » présentait la Pentecôte aussi comme l’accomplissement d’une promesse, celle faite par Dieu d’abord à travers le prophète Joël (cf. Joël 3,1-5), ensuite à travers Jean le Baptiste (cf. Mt 3,11) et enfin par Jésus Lui-même à plusieurs reprises (cf. Lc 24,49 ; Jn 14,16-17 ; 15,26 ; Ac 1,5), à savoir l’effusion du Saint-Esprit dans les temps messianiques.

Le « parler en langues », grâce auquel tous les peuples, symbolisés par les nations présentes à Jérusalem ce jour-là, entendaient dans leurs langues les merveilles de Dieu, représente « l’Anti-Babel » ou « Babel à l'envers » ou mieux encore « le Plan de Dieu à l'endroit ». Tandis qu’à Babel en effet, la seule et même langue dont se servait la terre entière avait conduit à l’incompréhension et à la dispersion (cf. Genèse 11,1-9), à la Pentecôte la multiplicité des langues conduit à la compréhension et au rassemblement. En d’autres termes, pendant que dans la citadelle babélique, les fils d’Adam voulaient une unité dans l’uniformité, à la cité pentécostale, Dieu bâtit plutôt une unité dans la diversité par l’action du Saint-Esprit. C’est dire que l’unité des peuples, telle que voulue par Dieu en Jésus Christ, sera toujours une unité dans la diversité et ne pourra être que l’œuvre du Saint-Esprit. Expliquant cette œuvre d’unification du Saint-Esprit, Saint Irénée disait : « La farine sèche ne peut sans eau devenir une seule pâte, pas davantage nous tous, ne pouvions devenir un en Jésus Christ sans l’eau qui vient du ciel.[1] » Dans sa dimension prophétique, le « parler en langues » annonçait aussi la catholicité ou l’universalité de l’Eglise naissante, à savoir que l’Eglise devait se répandre dans toutes les langues, races, peuples et nations.

Mais tous ces signes n’étaient qu’annonciateurs et explicatifs du mystère de la Pentecôte, ce n’était pas encore la Pentecôte. C’est un peu comme lors de la manifestation du Seigneur à Elie sur le mont Horeb : Il y eut un vent fort et puissant qui fendait les montagnes et fracassait les rochers, mais le Seigneur n’y était pas. Après, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre. Après le tremblement de terre, il y eut un feu, mais le Seigneur n’y était pas (cf. 1 Rois 19). Parce que tout cela n’était qu’annonciateur de la venue du Seigneur dans la brise légère pour donner à comprendre à la fois sa grandeur et sa simplicité.[2] Bref, la Pentecôte, ce n’était pas le « bruit venant du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent ». La Pentecôte, ce n’était pas non plus les « langues de feu ». La Pentecôte, ce n’était même pas le « parler en langues ». La Pentecôte, c’était : « ils furent tous remplis du Saint-Esprit ».

De fait, quand Jésus annonçait la Pentecôte à ses Apôtres, il n’avait point parlé de bruit, de souffle, de coup de vent, de langues de feu ou de « parler en langues » (parce tout cela n’était pas encore la Pentecôte), mais simplement de la venue du Saint-Esprit sur eux comme d’un revêtement de puissance (cf. Ac 1, 5-8). Si la Pentecôte était les langues de feu, on devrait supposer qu’elle ne s’est plus jamais reproduite, vu que l’histoire de l’Eglise ne fait pas cas d’une nouvelle édition pentécostale sous cette forme. Mais parce que la Pentecôte, c’est tout simplement d’être rempli du Saint-Esprit, alors notre génération aussi peut réclamer sa Pentecôte. Parce que la Pentecôte, c’est d’être rempli du Saint-Esprit, alors toi aussi tu peux, en vertu du Sang de l’Agneau répandu pour toi, revendiquer ta Pentecôte personnelle. Parce que la pentecôte, c’est d’être rempli du Saint-Esprit, alors ton couple peut réclamer une pentecôte conjugale, ta famille peut revendiquer une pentecôte familiale, ta localité peut demander une Pentecôte locale, notre nation peut implorer une pentecôte nationale, notre continent peut implorer une pentecôte continentale.

C’est pour nous faire comprendre que la pentecôte se renouvelle à tout moment pour chaque génération qui la désire et pour chaque croyant qui s’y dispose que d’autres Pentecôtes ont eu lieu dans les Actes des Apôtres après la Première Pentecôte. Ainsi par exemple en Actes 4,31 nous lisons : « A la fin de leur prière, le local où ils se trouvaient réunis fut ébranlé : ils furent tous remplis du Saint Esprit et disaient avec assurance la parole de Dieu ». Dans le chapitre 10, se trouve relaté ce qui, à mon avis, est la meilleure Pentecôte des Actes des Apôtres. La meilleure, parce que contrairement aux autres Pentecôtes où l’on voit les Apôtres tantôt en prière demandant le Saint-Esprit (Ac 1,14 ; 4,23-31), tantôt imposant les mains aux croyants pour qu’ils reçoivent le Saint-Esprit (Ac 8,17 ; 19,6), ici, l’Esprit Saint tombe sans prière, sans imposition des mains et sans préavis sur des païens (et donc des non-baptisés et des incirconcis) qui écoutaient la Parole : « Pierre exposait encore ces événements quand l’Esprit Saint tomba sur tous ceux qui avaient écouté la Parole. Ce fut de la stupeur parmi les croyants circoncis qui avaient accompagné Pierre. » (Actes 10, 44s). A partir de là, nous comprenons que toute prédication ou toute célébration de la Parole peut être une nouvelle Pentecôte. Enfin, comme exemple de Pentecôte individuelle, nous pouvons mentionner la Pentecôte d’Etienne : « Etienne, rempli d’Esprit Saint, fixait le ciel : il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. » (Actes 7,55)

Cette Pentecôte personnelle d’Etienne nous fait comprendre que le but ultime de la Pentecôte est de nous plonger dans les quatre dimensions (= plénitude) du mystère trinitaire, à savoir « la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur » (cf. Ep 3,18). Ainsi, lorsqu’on parle de la Pentecôte, il ne faudrait pas voir seulement l’Esprit Saint mais toute la Trinité. Car « toute l’économie divine est l’œuvre commune des trois personnes divines. (…) De même qu’elle n’a qu’une seule et même nature, la Trinité n’a qu’une seule et même opération. »[3] De même que l’Incarnation inaugure l’ère de la manifestation de la Personne du Fils dans sa distinction par rapport au Père, de même la Pentecôte inaugure l’ère de la manifestation de la Personne du Saint-Esprit dans sa distinction par rapport au Père et au Fils, et révèle ainsi en plénitude le mystère de la Sainte Trinité[4], de sorte que la Pentecôte est à la fois un mystère pneumatologique, christologique et trinitaire. Pneumatologique dans la mesure où il s’agit d’une auto-manifestation ou auto-communication du Saint-Esprit, christologique au sens où le Saint-Esprit est envoyé par Jésus (cf. Jn 16,7)[5], puis trinitaire au sens où c’est le Père qui envoie le Saint-Esprit au nom du Fils (cf. Jn 14,26). L’audace théologique est d’affirmer que la pentecôte est aussi un mystère marial. Mais est-ce réellement audacieux, si d’une part nous situons la Pentecôte dans le prolongement du mystère de l’Incarnation[6] et d’autre part si avec le Concile Vatican II nous reconnaissons en Marie le « modèle type de l’Eglise[7] », Eglise qui a été manifestée au monde le jour de la Pentecôte, à telle enseigne que la Pentecôte reste fondamentalement un mystère ecclésiologique[8] ?  Que Marie, Reine des Apôtres, Etoile du Cénacle, Trône de la gloire du Saint-Esprit, nous obtienne une nouvelle Pentecôte ! Amen !

 


[1] Saint Irénée, Traité contre les hérésies, in : La Liturgie des heures 2, p. 792.

[2] C’est aussi un peu comme à la mort de Jésus : « Voici que le voile du Sanctuaire se déchira en deux du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent ; les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints défunts ressuscitèrent : sortis des tombeaux après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et apparurent à un grand nombre de gens. » (Mt 27,51-53).  Ces phénomènes cosmiques étaient juste annonciateurs ou explicatifs de ce qui sera dit ensuite en peu de mots, à savoir : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu » (Mt 27,54).

C’est de la même manière que Matthieu relate l’annonce de la résurrection aux saintes femmes : « Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre : l’Ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus. Il avait l’aspect de l’éclair et son vêtement était blanc comme neige. Dans la crainte qu’ils en eurent, les gardes furent bouleversés et devinrent comme morts… » (Mt 28,2-4). Mais après tous ces signes annonciateurs, le message sera livré en peu de mots au verset 6 : « Il est ressuscité ».

[3] CEC 258.

[4] Cf. CEC 244.

[5] Cf. aussi Lc 24,49 ; Jn 15,26 ; Ac 2, 33.

[6] Vu que Jésus a envoyé l’Esprit Saint pour poursuivre son œuvre dans le monde et achever toute sanctification (cf. Prière Eucharistique 4) ; raison pour laquelle l’Esprit Saint ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra du Fils (cf. Jn 16,13), nous fera ressouvenir de tout ce que Jésus nous a dit (cf. Jn 14,26) pour le glorifier (Jn 16,14).

[7] La théologie de Vatican II définit Marie comme le modèle et la figure de l’Eglise (cf. Lumen Gentium 63-65), voire « la réalisation exemplaire, typus, de l’Eglise » (cf. CEC 967).

[8] J’infère ici avec Isaac de l’Etoile que ce qui se dit de l’Eglise en général peut se dire de Marie en particulier, et vice-versa : « Ce Christ unique est le Fils d’un seul Dieu dans le ciel et d’une seule mère sur la terre. Il y a beaucoup de fils, et il n’y a qu’un seul fils. Et de même que la tête et le corps sont un seul fils et plusieurs fils, de même Marie et l’Eglise sont une seule mère et plusieurs mères, une seule vierge et plusieurs vierges. L’une et l’autre sont mères ; l’une et l’autre, vierges. L’une et l’autre ont conçu du Saint-Esprit, sans attrait charnel. L’une et l’autre ont donné une progéniture à Dieu le Père, sans péché. L’une a engendré, sans aucun péché, une tête pour le corps ; l’autre a fait naître, dans la rémission des péchés, un corps pour la tête. L’une et l’autre sont mères du Christ, mais aucune des deux ne l’enfante tout entier sans l’autre. Aussi c’est à juste titre que, dans les Ecritures divinement inspirées, ce qui est dit en général de la vierge mère qu’est l’Eglise, s’applique en particulier à la Vierge Marie ; et ce qui est dit de la vierge mère qu’est Marie, en particulier, se comprend en général de la vierge mère qu’est l’Eglise. Et lorsqu’un texte parle de l’une ou de l’autre, il peut s’appliquer presque sans distinction et indifféremment à l’une et à l’autre. » (Isaac de l’Etoile, Sermon pour l’Assomption, in : La Liturgie des heures n° 1, Paris 2013, p. 103-104).